Soucieuse de son avenir et souhaitant se rattacher à un ordre religieux structuré et solide, la communauté de la Part-Dieu se donna à l’abbaye de Léoncel, l’ordre de Cîteaux bénéficiant alors d’un indéniable prestige. Des personnages éminents patronnèrent ou approuvèrent publiquement la fusion qui date de 1194. Il convient de citer d’abord Guillaume, seigneur de Clérieu et d’une partie de Pisançon, ancien abbé de Saint-Félix de Valence, toujours dit « l’abbé » en dépit de son retour au siècle et qui avait conservé la charge de « sacristain de Saint Barnard de Romans ». C’est lui qui annonça la fusion dans une charte de 1194 : « … la maison d e la Part-Dieu constitue une seule et même abbaye avec la maison de Léoncel ; aussi le couvent de Léoncel est-il tenu de résider à La Part-Dieu, naturellement, de la fête de Saint-André jusqu’à Pâques et de maintenir à la Part-Dieu, pendant le reste de l’année, 4 ou 6 moines pour entretenir le service de Dieu ». En fin de texte, Guillaume faisait savoir qu’il avait apposé son sceau sur cette charte et priait Robert, l’archevêque de Vienne, et Falcon, l’évêque de Valence, d’en faire autant. Dans cette charte une mention est faite de l’approbation d’Hugues de Châteauneuf, abbé de Bonnevaux après l’avoir été de Léoncel : il venait de disparaître au début de cette même année 1194.
Quatre autres textes traitent de cette fusion. Ils expriment l’approbation de Lambert, frère de Guidelin de Chabeuil et doyen du chapitre épiscopal deValence (1194), de Falcon, évêque de Valence et de Robert, l’archevêque de Vienne « appelé abbé de l’église de Romans » ( tous deux en 1195), enfin du comte de Valentinois, Aymar de Poitiers (1196).
Entre 1195 et la fin du XIII° siècle, 54 chartes concernent la Part-Dieu et la plaine romanaise proche. Très vite cet espace, entré plus tardivement que ceux de Parlanges, du Conier ou de la Voulpe dans le domaine temporel des cisterciens du bas-pays, s’arrondit par le jeu des donations des acquisitions et des échanges. Il devint, au temps du faire-valoir direct une sort e de vitrine du savoir faire agricole et pastoral des moines, et une étape dans la transhumance hivernale des troupeaux se dirigeant vers les rives de l’Isère. Plus tard il figura parmi les plus grandes fermes une des grandes fermes et fut une importante source de revenus.
A partir sans doute du 30 novembre 1195, jour de la Saint-André, les moines prirent l’habitude de quitter les froidures de Léoncel pour s’installer temporairement à la Part-Dieu. Le col de Tourniol à 1145 mètres d’altitude, favorisait une descente rapide vers le goulet de Barbières et, au-delà, le chemin tirait droit sur le flanc nord cône de déjection de la Barberolle. Le parcours devait s’effectuer aisément dans la journée. Quelques frères demeuraient en montagne, gardant le monastère et y maintenant la permanence du service de Dieu. A Pâques la communauté reprenait le chemin du Vercors, non sans laisser une partie de l’effectif en plaine. Ces migrations saisonnières paraissent avoir été fort régulières jusqu’à la fin du XVII° siècle, sauf en cas de menaces graves et durables, pendant les périodes troublées des guerres féodales et des affrontements religieux.
A partir de 1681, l’introduction à Léoncel du système de la « commende », fondé sur la nomination par le roi et le pape d’un abbé étranger à la communauté des moines de l’abbaye interrompit les séjours hivernaux. En effet, les revenus du domaine de la Part- Dieu et des autres domaines de la plaine à l’exception de celui du Conier furent attribués à l’abbé commendataire , dans un partage très strict imposé par Cîteaux. L’ordre, en effet, voulut ainsi mettre fin à des tracasseries de plus en plus graves entre l’abbé et la communauté des moines, alors dirigée par un « prieur claustral » nommé par Cîteaux.
Mais jusqu’alors un incessant mouvement de va-et-vient avait relié le beau domaine et le site montagnard de Léoncel le long du grand versant abaissé du Vercors vers la plaine. Par ailleurs, la présence temporaire des moines dans le bas pays avait consolidé les liens avec la ville de Romans, où les cisterciens possédèrent plusieurs maison et qui fut donc souvent présente dans l’histoire de l’abbaye.
En effet, s’il accueillit les séjours hivernaux des moines, rendus « institutionnels » par la charte de 1194, le domaine partagea souvent avec Romans le rôle de refuge protecteur pendant les périodes troublées. On ne peut donc considérer la Part-Dieu seulement comme une simple grange cistercienne au temps du faire-valoir direct et des frères convers, puis comme une simple ferme au temps du faire-valoir indirect. En fait, pendant près de 5 siècles elle allait jouer le rôle d’une sorte « d’abbaye bis » comme on a pu l’écrire, ou mieux, celui d’un véritable prolongement organique de l’abbaye.
1° octobre 2009, Michel Wullschleger.