Le 25 septembre 1190 se réunirent devant l’église de Saint-Martin le Colonel les abbés cisterciens d’Aiguebelle et de Valmagne, les prieurs chartreux des Ecouges et de Silve Bénite, ainsi que Guillaume, prieur augustin de Saint-Médard, tous les cinq choisis comme arbitres et assistés de deux juristes. Etaient également présents les abbés cisterciens de Tamié, Sénanque, Ulmet et Léoncel, ce dernier accompagné de trois moines profès et de trois convers, le prieur chartreux du Val Sainte-Marie escorté d’ un moine et d’un convers, les prieurs bénédictins de Saint-Jean en Royans et de Saillans dépendant respectivement des abbayes de Montmajour et d’Aurillac, les prieurs augustins de Saint-Félix de Valence (avec un chanoine) et de Saint-Pierre du Bourg (lès Valence), le doyen du chapitre cathédral de Grenoble, des chanoines du chapitre cathédral de Die et divers clercs séculiers. Le 27 mai 1192 se rassemblèrent au col de Biou, Jarenton, évêque de Die, l’abbé Hugues de Bonnevaux (ex abbé de Léoncel) avec quelques moines, l’abbé de Léoncel et le prieur du Val Sainte Marie avec leurs escortes, le prieur augustin de Saint-Julien en Quint, et Guillaume, prieur de Saint-Médard, déjà présent deux ans auparavant.
L’abbaye de Léoncel a fait l’objet de plusieurs bulles pontificales au cours du XIII° siècle.En 1201 Innocent III évoquait la composition du domaine temporel en montagne et en plaine, formule des interdictions en matière d’actions en justice et de sortie des moines hors du monastère et réaffirme les droits rituels respectifs de l’abbé et de l’évêque. Le 28 octobre 1247, de Lyon où il séjournait, le pape Innocent IV adressait une lettre à l’archevêque de Vienne et à ses suffragants (les évêques), aux abbés, prieurs, doyens, archidiacres, prévôts, archiprêtres et autres prélats de la province de Vienne, leur mandant de prendre la défense de l’abbé et des frères de l’abbaye de Léoncel, ordre de Cîteaux et diocèse de Die, qui se s’étaient plaints auprès de lui de continuels préjudices et du défaut quotidien de justice. Il leur recommandait d’user de l‘excommunication. Le 27 novembre 1250, Innocent IV, à nouveau depuis Lyon revenait à la char ge et exemptait de tout péages le vin, la laine, les animaux et tout ce dont les moines avaient besoin. Il fulminait à nouveau contre les hommes se comportant mal envers les moines de Léoncel.
L’étude de l’environnement religieux de proximité se révèle à la fois essentiel et complexe. La complexité vient du nombre et de la diversité d’établissements, ainsi que des glissements de certains d’entre eux d’un ordre religieux à un autre. Nous n’avons donc ici ni l’intention, ni la possibilité d’être exhaustif et nous nous en tenons pour l’essentiel aux éléments tirés du chartrier de Léoncel et à une certaine proximité géographique.
Léoncel se situait dans la province archiépiscopale de Vienne et à la limite même des diocèses de Die et de Valence, le monastère lui-même ayant été construit, indéniablement, sur le territoire du premier. Ainsi une partie du domaine temporel montagnard relevait avec l’abbaye du diocèse de Die, alors que quelques espaces d’altitude et les implantations nombreuses en plaine se trouvaient dans celui de Valence. Il faut par ailleurs souligner la proximité des diocèses de Vienne auquel appartenait la ville de Romans, et de Grenoble, limité au nord de Léoncel par les rivières de l’Isère et de la Bourne.
L’archevêque et les évêques étaient, bien entendu, épaulés par des chapitres cathédraux constitués de chanoines. D’autres chanoines se regroupaient en collèges, plus indépendants. La cathédrale était déjà l’église de l’évêque, la collégiale, celle d’un collège de chanoines. Contrairement aux moines cisterciens ou chartreux, les chanoines ne se coupaient pas du « siècle » dans lequel ils exerçaient des fonctions religieuses.
Dans l’espace qui nous intéresse, notamment au pied de la montagne, les cisterciens de Léoncel ont été devancés chronologiquement par des moines bénédictins et par des chanoines augustins, dont beaucoup vivaient dans les prieurés. Ces derniers, très nombreux, tenus par quelques moines ou chanoines, souvent modestes, ne possédaient pas d’autonomie. Ils dépendaient, de façon plutôt stricte, d’abbayes, de collèges, parfois d’un prieuré plus important en volume mais également sans autonomie. Ils administraient à l’époque nombre de paroisses et tiraient leur subsistance d’un petit domaine temporel.
Les prieurés BENEDICTINS, dépendaient d’abbayes plus ou moins lointaines comme celles de Montmajour en Provence ( Jaillans, La Motte-Fanjas, Saint-Jean en Royans, La Sône, St Romain de Granenc, Nacon), de Cluny (Allex, Aurel, Chosséon, Combovin, Eurre, Plan-de-Baix, Gigors), de Saint-Pierre de Vienne ( Bésaye), de Cruas ( Vaunaveys puis Saint-Jean de Crest), d’Aurillac ( Saint Baudille d’Upie, Saint Gérault de Saillans, Saint-Pierre d’Aouste), de Limoges (Serreméan en basse Gervanne) , du Monestier Saint-Chaffre (Etoile sur Rhône, Chastel-Arnaud, Espenel, La Motte de Chabrillan, Saint-Benôit en Diois) de Saint-Michel de la Cluse dans le Piémont (Saint-Maurice de Die et deux de ses dépendances, le « monastère » de Saint-Julien au Mandement de Montclar et le prieuré de Saint-Jean de Chabeuil ). L’abbaye Saint-Bénigne de Dijon possédait le prieuré de Montmeyran et administra jusqu’en 1189 la paroisse de Saint-Pierre de Bouvante le Haut). Enfin, de la grande abbaye auvergnate de La Chaise-Dieu, dépendaient le prieuré du Chaffal, le plus proche de Léoncel, mais aussi ceux de Beaumont lès Valence et de Peyrus, et, par l’intermédiaire du gros prieuré de Saint-Robert de Cornillon, ceux d’Hostun et d’Eymeux..
A propos des AUGUSTINS, on peut rappeler que depuis le IV° siècle, et à l’exemple de saint Augustin, des évêques cherchaient à donner une règle aux chanoines constituant dans chaque diocèse le chapitre cathédral. Après les efforts de l’évêque de Metz Chrodegang (vers 740) , la règle émise au congrès d’Aix la Chapelle de 817 ne permit pas d’empêcher une certaine décadence, d’où, à l’époque de la réforme grégorienne et notamment au concile de Rome de 1059, la diffusion par la papauté d’un certain nombre de préceptes constituant la « Règle de saint Augustin ». Outre les chapitres cathédraux de Die et de Valence s’étaient constitués des collèges ou chapitres collégiaux, parfois appelés « abbayes» comme ce fut le cas pour Saint-Barnard de Romans (dont l’ « abbé » était l’archevêque de Vienne), Sainte-Croix (en Diois), Saint-Tiers de Saou, Saint-Médard-La Clastre, dans la vallée de la Drôme un peu à l’amont de Crest, pour Saint Félix de Valence et Saint-Pierre du Bourg, ou encore « prieurés » comme ce fut le cas à Saint Donat. Ces maisons religieuses fonctionnaient comme des seigneuries ecclésiastiques avec des domaines temporels plus ou moins importants, mais parfois très étendus.
La décision en 1247, de transformer la maison des pauvres de Saint-Antoine en un couvent vivant selon la règle de saint Augustin, puis l’installation à Valence des chanoines de Saint-Ruf en 1158, furent à l’origine de deux nouveaux pôles canoniaux majeurs. Le monastère de Saint-Médard –La Clastre rallia Saint-Ruf en 1281 avec ses prieurés de Saint-Pierre de Sépie et d’Omblèze au Mandement d’Eygluy (comme l’abbaye de Léoncel), de Saint-Romain de Suze et de Saint–Sauveur en Diois avant de fusionner avec les Antonins en 1304. En 1289 le monastère augustin de Sainte-Croix se donna aux frères de Saint-Antoine avec ses prieurés de Pont en Royans, Vassieux, Die, Saint-Julien en Quint, Saint-Andéol et Saint-Etienne en Quint, Véronne, Pontaix, Ponet et avec celui d’Anse lui aussi au Mandement d’Eygluy. Après la fondation de l’ordre de Saint-Antoine par le pape Boniface VIII en 1297, Sainte-Croix et Saint Médard allaient devenir des « préceptoreries » des Antonins. (le terme de commanderie se répandra plus tard).
On a donné le nom d’ordres militaires aux Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem et aux Templiers alors qu’on devrait plutôt les appeler « ordres chevaliers ». Ils sont présents aussi dans l’histoire de Léoncel au XIII° siècle. Dans nos textes nous croisons les préceptories ou commanderies (dans les textes on trouve « domus » ce qui signifie tout simplement « la maison » ) de Valence, de Bayane, entre Valence et Romans, de Barry entre Alixan et Saint-Marcel, de Saint-Vincent de Charpey (aujourd’hui Saint-Vincent la Commanderie), de Saint-Paul lès Romans, de Crispalot au Mandement de Beauregard, de Laris, au nord de Saint Donat. Mise à part celle de Valence, les commanderies des Templiers se situaient relativement loin de Léoncel à Albon, à Lus la Croix Haute et au col de Cabre. Mais notre abbaye put maîtriser des terres ayant appartenu à l’ordre du Temple comme celle de Momont, au-dessus du col d’Anse.
Notre texte s’ouvre sur les rassemblements de 1190 et 1192 qui tentent de mettre fin à une crise entre les moines de Léoncel et leurs voisins chartreux de Bouvante. Un accord de 1196 concernant le passage des troupeaux des chartreux à travers le territoire dominé par les cisterciens montre que la sérénité était revenue. Nos archives ne signalent qu’un seul incident au cours du XIII° siècle. Quant aux relations avec les autres abbayes cisterciennes proches, elles soulignent la forte présence de Bonnevaux , fondatrice de Léoncel et à laquelle la Charte de Charité donnait quelques droits d’ingérence chez ses « filles ». Un fort manquement à la règle en 1268, aboutit, à la destitution commune des abbés de Bonnevaux et de Léoncel par le chapitre général de Cîteaux. Mais dans l’ensemble les relations furent fréquentes et positives entre les deux maisons. Des relations particulières liaient statutairement l’abbaye de Léoncel, ou plutôt son abbé, à celle des moniales de Commiers délocalisée pour cause d’inondation à Vernaison au Mandement de Chateauneuf sur Isère. Peu fréquentes avec celle d’Aiguebelle fondée elle aussi en 1137, dans la filiation de Morimond, les relations de Léoncel avec l’abbaye de Valcroissant se montrèrent plus fraternelles. Elle était , elle aussi, une fille de Bonnevaux.
Le 1° février 2010 Michel Wullschleger