Le développement des villes au XIII° siècle entraîne celui d’une économie d’échanges qui bouleverse l’idéal autarcique des cisterciens. Ceux-ci subissent des tentations, confortées par la réussite de l’économie « grangière » qui a mis à leur disposition des moyens matériels accrus et leur a ainsi permis ainsi d’étendre considérablement leur domaine temporel, comme de nombreux textes du cartulaire l’indiquent. Le ravitaillement des citadins ouvre des perspectives nouvelles.
Or, cette extension se produit alors que le recrutement des frères convers se fait plus difficile. Pour expliquer cette difficulté on a parfois souligné que la vie urbaine était plus facile que celle de ces moines convers sans cesse à la tâche pour assurer la vie matérielle de la communauté, parfois dans des conditions de climat et de relief particulièrement rudes On a pu évoquer aussi la concurrence faite par le succès des ordres mendiants, souvent citadins. Il s’agit des frères prêcheurs ou Dominicains apparus en1206 autour de Dominique de Guzman, des frères mineurs ou Franciscains, issus de l’apostolat commencé en 1209 par François d’Assise, ou encore des Carmes, nés vers 1156 sur le Mont Carmel qui domine la ville d’Haïfa, réinstallés en Europe après la chute se Saint-Jean d’Acre et dont l’ordre fut assimilé aux Mendiants par le pape Innocent IV en 1245. Autour de Léoncel, des Dominicains s’implantèrent à Valence dès 1234, les Franciscains à Romans en 1257 dans un couvent fondé par les Poitiers-Saint Vallier et dont la Côte des Cordeliers rappelle l’existence, et les Carmes au voisinage direct du château delphinal de Beauvoir où les installa le dauphin Humbert II en 1343. L’arrivée à Die des Dominicains et des Franciscains est postérieure à 1450. Devant cet amenuisement du recrutement des convers, les moines vont, moyennant redevance, confier progressivement la plus grande partie de leurs terres à des laïcs, essentiellement des paysans , et vivre ainsi du travail d’autrui.
D’autres évènements, plus directement perturbateurs , peuvent fournir également une part non négligeable d’explication. Il s’agit d’abord de la longue guerre dite « des Episcopaux » qui pendant 133 ans, de 1225 à 1358 opposa d’une part les évêques, comtes d’Empire de Die et de Valence, à la famille des Poitiers, comtes de Valentinois et de Diois. Il n’est pas inutile de rappeler que le diocèse de Vienne englobait Romans et la rive droite de l’Isère jusqu’en face de Châteauneuf et que celui de Valence débordait largement sur l’actuel département de l’Ardèche. A l’est de Saou, Crest, Cobonne, Gigors, Le Chaffal et Léoncel et au sud de la Bourne .dont la rive nord dépendait de l’évêque de Grenoble, s’étendait le vaste diocèse de Die qui associait les archiprêtrés du Désert ( Vesc, Grignan, , Condorcet, Saint-Nazaire le Désert, Chalancon), de Crest (Dieulefit, Bourdeaux,, basse vallée de la Roanne, vallée de la Gervanne, Royans, Vercors historique), de Die (Pays de Quint et Haut-Diois avec Valdrôme et Châtillon) enfin du Trièves ( de Saint-Guillaume à Tréminis). Le but des Poitiers était de fonder un véritable Etat, un peu comme le Dauphiné voisin, un Etat qui soit reconnu et conforté par tout un jeu d’alliances avec les puissants, papes, empereurs, rois de France,comtes de Toulouse et même dauphins. D’où leurs tentatives pour affaiblir les évêques, s’emparer par des procès ou sur le champ de bataille de leurs droits et domaines, ou attirer leurs vassaux traditionnels. Cette guerre, souvent réduite à des escarmouches, mais persistante et parfois enflammée, comme ce fut le cas lors de l’affrontement de Crest, entre Aymar II de Poitiers, vassal du Comte de Toulouse et Simon de Montfort, chef de la croisade contre les Albigeois en 1217, poussa le pape à réunir en 1275 sous l’autorité du seul évêque de Valence, les deux diocèses, tout en laissant en place les deux cathédrales et les deux chapitres cathédraux. Cette situation allait durer jusqu’en 1687, date à l quelle furent à nouveau installés deux évêques différents.
Les Poitiers auraient souhaité faire de Crest, très bien située sur les plans géographique et stratégique, la capitale de leur Etat, d’où la fréquence des combats autour de cette ville et sa présence dans de nombreux textes. La phase la plus sévère de cette longue guerre survint entre 1346 et 1358, lorsque l’évêque prit l’offensive contre le jeune Aymar VI, fils de Louis I° mort en 1345. Aymar semblait ne pas vouloir tenir compte du traité de 1332 qui avait laissé la ville en indivis. Elle se caractérisa par la mise à sac réciproque des territoires de l’adversaire. Les Mandements les plus touchés furent ceux de Charpey et d’Alixan en plaine de Valence, de Barcelonne, sur le piedmont du Vercors et du Pays Quint, proche de Die. Il fallut la menace d’une intervention du dauphin Humbert II, la formation de milices paysannes de défense, au nord de Romans, une nouvelle intervention du pape Innocent IV et surtout la nomination d’Aymar VI comme gouverneur du Dauphiné par le roi Jean le Bon et le dauphin Charles (futur Charles V) pour que s’achève enfin cette longue guerre par un traité de Lyon signé en 1356 et renouvelé en 1358. Ce traité donnait Crest au comte, en échange des châteaux de Bourdeaux et de Bézaudun, accompagnés d’une indemnité de 200 florins d’or . On a pensé et écrit que les belligérants s’étaient rapprochés pour faire face à un nouveau danger, celui Grandes Compagnies. Le chartrier de Léoncel évoque à plusieurs reprises les méfaits de ce long combat.
Commencée en 1337, la guerre de Cent Ans ne concernait pas directement notre région .Mais elle eut des conséquences indirectes sérieuses, lors du passage et de l’installation temporaire de mercenaires, soldats de toutes origines géographiques, du nord de l’Europe, d’Espagne ou encore des régions rhénanes. Inactifs pendant les nombreuses trêves, tentés voire contraints de subvenir à leurs besoins en se servant sur le terrain, ces hommes, parfois très nombreux, fort habitués à la guerre, désignés par les noms significatifs de « routiers », d’écorcheurs » ou encore de « bandes bretonnes », multiplièrent les pillages, les exactions et les sévices. Ils se mirent volontiers au service de qui voulait bien les payer et il fallut souvent acheter leur départ. Les principales alertes se situent en 1356, 1360, 1363 et encore en 1374 et 1389. . En 1363, avec leur chef Olivier Duguesclin, le frère de l’autre, 14000 ( !) d’entre eux furent engagés pour reconquérir le domaine pontifical. Ils remontèrent l’Isère, jusqu’à Saint-Nazaire, puis gagnèrent la vallée de la Drôme où Die acheta leur départ, 2000 florins d’or. En 1374, après s’être livrés à de sérieux méfaits à Die, des bandes bretonnes traversèrent la montagne par Véronne, Eygluy, le col de la Bataille mais évitèrent Léoncel. Ce ne fut pas le cas des routiers de Raymond de Turenne qui, ravagèrent l’abbaye avant de passer en Italie et de se faire battre à Alexandrie. De retour, Raymond et les débris de son armée s’emparèrent des châteaux d’Eygluy, de La Vache et de Pellafol. Leur départ fut acheté en 1392.
Autre drame, la grande peste, dite « Peste noire ». Elle aurait gagné l’Europe à partir de Caffa, en Crimée, ville assiégée par les Mongols en 1346-1347. Elle se serait répandue ensuite sur les bords de la Méditerranée, notamment en Sicile et en Italie avant d’arriver à Marseille où l’aurait apportée un navire génois. Maladie due au bacille de Yersin elle affectait surtout les rongeurs et notamment les rats. Des piqûres de puces infectées la transmettaient à l’homme. On estime aujourd’hui qu’elle présentait deux formes différentes : celle de la peste bubonique, celle de la peste pulmonaire. Les historiens du climat indiquent que la température et l’hygrométrie de l’hiver 1348 favorisèrent la transmission de la peste de type pulmonaire très présente en Provence, puis que, prenant le relais, la peste bubonique, profita des échanges nombreux dans l’axe rhodanien. Comme de coutume, la pauvreté, la promiscuité citadine, la malnutrition furent des facteurs aggravants. Les estimations concernant la mortalité peuvent effrayer : dans les actuelles frontières de notre pays, la population serait passée de 19 à 10 millions d’habitants. Concernant Léoncel,un texte de 1325 indique la présence de 13 religieux profès autour de l’abbé Pierre de Flandènes (1325-53). En 1351 la communauté se réduit à l’abbé et seulement 8 moines.
1° Mai 2010, Michel Wullschleger