Issu d’une famille de laboureurs de Marches, en plaine romanaise, ANTOINE BERENGER nous apparaît comme un gestionnaire sur la défensive. Comme le 21ème Cahier de Léoncel l’a expliqué, cet abbé a dû soutenir un procès avec le procureur fiscal de la Chambre des Comptes de Grenoble, défenseur attitré des droits du dauphin, alors le fils aîné du roi de France, faut-il le rappeler ? Au XVème siècle, les moines avaient albergé leur vaste domaine de Valfanjouse situé au nord-est de l’abbaye entre la Lyonne et le ruisseau de Léoncel et sur le territoire du Mandement de Saint-Nazaire. Des défrichements considérables avaient été entrepris par les albergataires, notamment de la famille des Reymond installée à Valfanjouse mais aussi par d’autres, dans les quartiers de Musan, La Charge, Biou ou la Combe du Mouton.
Les villageois, inquiets de voir reculer les forêts dans lesquelles ils possédaient des droits de pacage et de bûcherage portèrent plainte auprès du dauphin, seigneur de Saint-Nazaire et le procureur fiscal intervint. . Les héritiers du seigneur de Rochechinard unirent leur cause à celle du dauphin. Le conseiller delphinal Martin Gallien rencontra l’abbé, provoquant une discussion serrée sur l’origine des droits respectifs. En 1504, la cause fut débattue à Grenoble. L’abbé fut cité à comparaître devant la Chambre des comptes. Les deux parties acceptèrent finalement une transaction : pour les torts causés au dauphin, l’abbaye paierait une rente annuelle de 6 livres tournois ainsi qu’une somme immédiatement versée de 20 livres dont les 2/3 au profit du dauphin et 1/3 pour le compte des héritiers de Rochechinard. Les essarts restaient autorisés mais sous condition du versement de tasches à l’abbaye (1/20ème des récoltes). Il fut décidé que ces tasches disparaîtraient en cas de renaissance de la forêt. Les moines imposèrent aux Reymond, albergataires de Valfanjouse, le paiement de la rente annuelle de six livres tournois. En échange, ils leur abandonnèrent toutes les redevances levées à Valfanjouse et alentour, ne se réservant que les dîmes, soit 1/18ème des grains, agneaux, chevreaux et du chanvre auxquels s’ajoutaient un pourceau de la deuxième, troisième et quatrième « porcellée » de chaque truie. Cet abandon jouera peut-être un rôle, au XVIIIème siècle, dans la contestation du contrat d’albergement de Valfanjouse par la famille Reymond qui l’emporta sur l’abbaye devant le Parlement de Grenoble dans la décennie 1720, comme l’expose le même 21ème Cahier de Léoncel.
Ce procès de 1504 eut un grand retentissement. En dépit de la sentence arbitrale de 1303, les habitants de Châteaudouble obtinrent une transaction. Celle-ci leur octroyait le droit de cultiver, labourer, « bûchérer » sur une partie de « devès ». Les tasches et dîmes seraient versées à l’abbaye. Mais celle-ci n’accepterait sur ces terres aucune personne étrangère à la communauté villageoise de Châteaudouble. Surgirent également des difficultés avec le prieur de Châteaudouble, dépendant de l’abbaye de Saint-Ruf,. Il voulait lever les dîmes au territoire de Combe Chaude, au nom de la paroisse de Châteaudouble. Là encore nos moines acceptèrent une transaction. Les tasches et dîmes de Combe Chaude seraient levées par l’abbaye, mais celle-ci verserait au prieur une rente annuelle de 12 sétiers de blé, cette rente pouvant être rachetée par un capital de 100 écus d’or. Les droits paroissiaux iraient au prieur, mais ce dernier reconnaissait aux paroissiens la liberté de choisir le cimetière de Léoncel.
En juillet 1519, l’abbé et les moines, alors une dizaine, reconnurent qu’ils tenaient de la directe du vicomte de Tallard, seigneur d’Hostun, une partie de la vallée du ruisseau de Léoncel à l’aval du pont de la Bouverie où se situait la limite entre les Mandements d’Eygluy et de Saint Nazaire.
En 1521 l’abbé et le seigneur d’Eygluy détenteurs en indivision de la plus grande partie du plateau d’Ambel dans les Mandements d’Eygluy et de Quint accordèrent aux villageois l’exclusivité du pacage, du bûcherage et de l’essartage sur une partie bien définie et délimitée de la montagne d’Ambel. Il s’agit d’un « cantonnement » réduisant dans l’espace mais aussi dans le temps, entre le 1er Mai et la fête de sainte Marie-Madeleine, le 22 juillet, les interventions des villageois. L’abbé et le seigneur indivis pourraient désormais affermer les pâturages sur le reste du plateau entre le ler mai et le 22 juillet En dehors de ces dates, les villageois seraient libres d’intervenir sur toute la montagne relevant des Mandements d’Eygluy et de Quint. En 1527, on note encore une transaction, acceptée par l’abbé, entre Jean Blaphey, un religieux originaire de Meymans et l’abbaye des moniales de Vernaison. Ce moine prend en ferme toutes les propriétés et redevances de Vernaison, par un bail notarié de quatre ans. Il s’engage à nourrir et entretenir l’abbesse et les religieuses professes ou non ? Cette pratique apparaît tout à fait étrange au regard de la règle primitive de Cîteaux.
1er mars 2011 Michel WULLSCHLEGER.