LES DEBUTS DE L’ABBATIAT D’ALEXANDRE MILON ET L’ARRIVEE DE DOM PERIER

leoncel-abbaye-36Au début de 1729, Louis XV nomma abbé commendataire de Léoncel, l’évêque de Valence, Alexandre Milon. La bulle pontificale, datée du 16 avril 1729 ne se fit pas attendre. Il avait vu le jour en 1688 dans une famille originaire du Val de Loire, de Touraine ou d’Anjou et dotée de plusieurs seigneuries. Son père remplissait les fonctions de Conseiller du roi, d’intendant général des turcies et levées (digues de protection contre les débordements de la Loire) et des ponts et chaussées, ainsi que celle de Grand maitre des Eaux et forêts de Poitou, Aunis, Limousin, Marche et Nivernais. Un oncle, aumônier du roi et futur évêque de Condom le baptisa. Orienté vers la carrière ecclésiastique, il obtint le grade de docteur en théologie de la Sorbonne. Député de Bordeaux à l’Assemblée du clergé de France, il devint un prélat de cour. Nommé aumônier du roi il assista à Reims au sacre de Louis XV et, à Versailles, au mariage du roi avec Marie Leszczynska, avant d’être sacré, à Paris, évêque de Valence en mai 1726. Le roi le nomma également abbé commendataire de Léoncel en 1729, puis de Saint Benoît sur Loire en 1742. Le pape accepta ces nominations.
Alexandre Milon se trouvait à la tête d’une importante fortune entretenue par les revenus de l’église Saint Martin de Tours, destinés depuis 1550 à la famille Milon, par sa part de ceux de Léoncel (3.500 livres), par sa part de ceux de Saint-Benoît (14.000 livres) et surtout par les revenus de l’évêché de Valence (18.000 livres). Eloigné de Valence par de fréquents et longs séjour dans le bassin parisien, il devait se montrer plus soucieux des pauvres de son diocèse que de l’abbaye de Léoncel. Son testament allait octroyer à l’hôpital de Valence la somme énorme de 460.000 livres.

Dès son arrivée, l’abbé Alexandre Milon se trouva en procès avec le seigneur de Pisançon, à propos du moulin de Charlieu. Le seigneur avait gagné le procès intenté au sujet de l’étendue territoriale de la banalité du moulin et de son droit d’en faire construire un autre. Nous avons vu qu’une première tentative avait échoué à la faveur d’une crue de l’Isère. Le seigneur réclamait une indemnité pour le tort subi pendant plusieurs années. L’affaire fut jugée à Grenoble en 1730. L’héritière de l’abbé de Servient dut payer 500 livres et les moines 900. Pour couvrir ces 900 livres et leurs propres frais, les moines durent emprunter diverses sommes, dont 1600 livres au curé de Bouvante.

En montagne les moines qui souhaitaient en finir avec leurs constructions nouvelles, sollicitèrent en 1730 un arrêt du Conseil d’Etat qui les autorisa à couper annuellement en 1732,1733 et 1734, 200 pièces de bois de choix et 50 de moindre qualité.

A plusieurs reprises au cours des premières décennies du XVIII° siècle, les visiteurs de l’Ordre avaient dénoncé la mauvaise gestion des moines de Léoncel dans leurs « cartes de visite », c’est-à dire dans le texte qu’ils rédigeaient pour exprimer leur sentiment et faire connaître leurs « règlements », préceptes à suivre pour améliorer la situation. Le 28 avril 1705, Jean-Jacques le Roy de Marmagne, prieur de Bonnevaux et vicaire général de l’ordre en Dauphiné, les tançait, les invitait à cultiver la pauvreté, leur ordonnait de tenir les comptes avec rigueur, leur interdisait tout partage ou affectation des revenus. Le 20 septembre 17O8, le même visiteur revenait, soulignait la négligence des instructions données en 1705, dénonçait le très mauvais état des comptes et…la disparition des revenus de la grande ferme du Conier. Il condamnait le moine responsable des comptes à la chambre et à l’isolement jusqu’à ce que l’abbé intervienne. Toute la gestion était à reprendre. Le 2 septembre 1714, Jean Mouchinet, prieur de l’abbaye de Chassagne, au diocèse de Lyon soulignait la négligence de l’office divin et la façon très insuffisante de stocker les grains, ce qui nous rappelle l’importance historique de ce problème. Le 26 mars 1726, Lazare Lauguet, abbé de Saint-Sulpice en Bugey, notait le début d’un rétablissement mais il ajoutait « L’on évitera dans le rétablissement de la maison toute dépense superflue et curiosité mondaine… ». Le 6 mai 1740, Claude Rigoley, abbé et seigneur de Saint Sulpice , notait que les comptes étaient en bon état et que l’atmosphère était bonne.

Le prieur Jourdain successeur de Jacques Girard, pieux et zélé, habile administrateur avait entrepris de remettre la petite communauté dans le droit chemin. Il avait montré son souci de restaurer la vie spirituelle du monastère et ébauché une politique de remise en ordre des finances de l’abbaye et de saine gestion. Mais, nommé Procureur général de Cîteaux, il avait trop vite quitté nos montagnes. En 1739, l’Ordre nomma pour le remplacer comme prieur claustral Pierre Périer, un homme d’une très forte personnalité. Il venait de l’abbaye de Belle Aigue au diocèse de Clermont et allait gouverner pendant 37 ans la désormais bien modeste communauté des moines. Ses origines étaient-elles dauphinoises comme pourrait le laisser penser son nom ? En tout cas, il allait faire rapidement la preuve de son efficacité. Les Archives départementales de la Drôme possèdent une série de livres de comptes qui en témoignent.
En ce qui concerne l’histoire de la petite communauté des moines de Léoncel, la personnalité de Dom Périer éclipse sérieusement celle de l’abbé commendataire Alexandre Milon, très remarquable évêque par ailleurs, mais presque totalement absent de Léoncel. où, véritable symbole, il n’aurait passé qu’une après-midi en 42 ans d’abbatiat. Monseigneur Milon et Dom Périer furent très souvent en conflit, notamment à propos d’une délocalisation éventuelle de l’abbaye à la Part-Dieu dont les importants revenus étaient acquis à l’abbé depuis le partage de 1697. Dom Périer eut à charge d’accueillit le dernier abbé commendataire, Samuel de Gripière de Moncroc (1771-1790) dont l’abbatiat peut être considéré comme une caricature du système de la commende. Mais le prieur claustral allait lui même terminer bien mal une entreprise de redressement plutôt bien entamée. Il devait, en effet, par décision de l’Ordre, être écarté de Léoncel en 1777 et remplacé, pour conduite personnelle incompatible avec sa fonction et avec son état de moine cistercien.

1er décembre 2011 Michel Wullschleger