« L’abbaye de Vernaison et le monachisme féminin dans la moyenne vallée du Rhône » était le thème de cette année. Le colloque a eu lieu à la salle L’eau vive de Châteauneuf-sur-Isère.
L’abbaye de Vernaison, à Châteauneuf-sur-Isère, née au milieu du XIIe siècle sous l’influence de l’abbé de Léoncel, Hugues, fait partie des rares communautés de moniales cisterciennes qui ont subsisté à la fin du Moyen Âge. Installées vers 1167 aux Monestiers, les moniales se sont implantées vers 1222 à Vernaison. Délaissé pour Valence au début du XVIIe siècle, le site de l’abbaye de Vernaison fait l’objet d’une étude en cours et de nouveaux efforts de préservation.
La journée d’étude organisée par les Amis de Léoncel a proposé un point sur les moniales cisterciennes de Vernaison et le site du monastère, ainsi que sur les expériences monastiques féminines dans son environnement régional. Le colloque s’articule autour de sept communications. L’ensemble sera publié dans le Cahier de Léoncel n° 33, en 2024.
Cliché de titre : BM de Carpentras, manuscrit 0096,folio 0078 – détail.
Après avoir accueilli les participants et remercié la municipalité de Châteauneuf-sur-Isère et l’association Châteauneuf Histoire et Patrimoine, Yannick Veyrenche introduit la journée.
L’actualité renforce le choix de faire de l’abbaye de Vernaison l’objet d’un colloque : l’association Protégeons l’abbaye de Vernaison a lancé un projet de sécurisation et mise en valeur du site. Un étudiant en master d’archéologie, Lucas Bobillon, réalise un travail sur les bâtiments restants, travail qui renforcera le projet de protection de l’abbaye.
Le monachisme féminin dans la région a fait l’objet de mentions dans le Cahier de Léoncel n° 11. Y. Veyrenche (Cahier de Léoncel n° 15), Charlotte Bugnazet (Cahier de Léoncel n° 19) ont communiqué sur Vernaison, Ginette Guillorit sur Notre-Dame des Anges (Cahier de Léoncel n° 23, n° 25 et n° 26).
Yannick VEYRENCHE – Jalons pour une histoire du monachisme féminin autour de la vallée du Rhône.
La communication met en avant les particularités du monachisme féminin, tenant compte de ce que l’espace claustral est réservé aux femmes, mais le ministère réservé aux hommes. Ceci influe sur la spatialisation des monastères et des églises, sujet d’études en soi. Même si les règles sont rédigées par des hommes, les femmes s’approprient l’écrit, instaurent des rites « non sacramentels ».
Une première génération d’établissements bénédictins est suivie de la fondation de communautés cisterciennes (souvent intégrées dans des monastères d’hommes) puis cartusiennes (accompagnant le développement des chartreuses masculines). On voit ensuite la création de chapitres de chanoinesses régulières, puis de maisons dépendant d’ordres mendiants, telles que les clarisses.
Une cartographie montre les implantations dans la moyenne vallée du Rhône et le Vercors.
L’une des conclusions de l’étude est le constat d’organisations beaucoup plus variées dans les établissements féminins que dans les monastères masculins.
Jean-Marc VACHER – Les sites des Monestiers et de Vernaison, approche géomorphologique.
L’intervention décrit d’abord la formation des terrasses alluviales de l’Isère, dans leur étagement. Le premier établissement des cisterciennes, aux Monestiers, a été abandonné au profit de Vernaison – un peu plus élevé au-dessus de la rivière – après le déluge de Grenoble de 1219. Le monastère a utilisé au mieux le site existant (notamment, captage des sources), au pied d’une terrasse du Riss qui surplombe le site
Le territoire de Vernaison, aussi isolé qu’il semble aujourd’hui, a été un lieu très fréquenté par les Romanais et Péageois au XIXe siècle et dans la première moitié du XXe, notamment pour la fête du lundi de Pâques, poursuite d’une fête antérieure célébrée dans l’église du monastère.
Lucas BOBILLON – Les bâtiments de l’abbaye de Vernaison : étude des élévations.
L. Bobillon introduit son propos par un historique de l’abbaye de Vernaison, dont les dates majeures sont 1222 (bulle favorisant le transfert de l’établissement, permettant de dater la fondation de l’église), 1452 (abbaye confirmée comme fondation royale), 1518 (incendie dont des traces sont encore visibles) et 1616 (déménagement de la communauté à Valence).
L’histoire des bâtiments, dans cette grande période, est mal connue. L’étude des élévations doit permettre de délimiter les implantations, de fonder une chronologie et de comprendre la spatialisation des fonctionnements.
De belles découvertes ont été faites dans un premier temps d’étude utilisant les travaux de mise en sécurité faits par Alexandre Clut, propriétaire : placards liturgiques, bassin liturgique, en place ; marques lapidaires sur des pierres de construction (27 dénombrées à ce jour) ; nombreuses pierres taillées au sol, dont la clef de voute de la coupole.
Parmi les quelques documents modernes, le dessin de J.M. Allègre est le plus riche sur l’état des bâtiments à la fin du XIXe siècle : on voit la façade occidentale encore en place. Le croquis de J. Chevalier ne semble pas tracé d’après nature. Le plan cadastral de 1810 est à interpréter avec prudence.
L. Bobillon et F. Balayn présentant le projet de sauvetage de l’abbaye de Vernaison.
Fanélie Balayn, présidente de Protégeons l’abbaye de Vernaison, fait le point sur la démarche de l’association, et sur les trois projets en cours : deux portés par le propriétaire, réhabilitation de la maison d’habitation et du bâtiment de l’abbesse de Monteynard ; projet de sécurisation et de protection de l’abbatiale, porté par l’association. La Mission Stéphane Bern et la Fondation du Patrimoine aident le projet, et une souscription est en cours : 280 000 euros sont acquis, sur 400 000 euros prévus.
L’objectif est de redonner vie au site, l’ouvrir lors de manifestations ponctuelles, tout en promouvant également l’activité arboricole du territoire de Châteauneuf-sur-Isère.
Yannick VEYRENCHE – Domaines et ressources de l’abbaye de Vernaison au XIIIe siècle.
L’étude se heurte à un problème documentaire : les sources ne deviennent nombreuses qu’après 1230, et ni le noyau initial de biens, ni les sources de la richesse ayant permis la construction d’une si vaste église, ne sont connus.
Le monastère a eu une seule grange, celle de Bayane, mais a possédé des cens et des droits dans un territoire allant de Saint-Donat à Charpey. L’importance des rentes est bien une entorse à la règle cistercienne. Cette orientation rentière est en partie due à la nécessité de payer les chapelains pour les nombreuses messes d’anniversaire de décès.
Dans une économie à dominante pastorale, les troupeaux de l’abbaye ne semblent pas avoir été très importants (pâtures de Turon). Le domaine proche est très vaste. L’abbaye pratique un commerce important de bois au XVIe siècle ; elle possède sept maisons dont un moulin à Romans.
Les abbesses sont actives, mobiles, menant une politique foncière affirmée.
Charlotte BUGNAZET – Les moniales de Vernaison au XIVe siècle.
Charlotte Bugnazet reprend les données collectées pour un mémoire de maîtrise et pour l’article « Vernaison et Léoncel » (Cahier de Léoncel n° 19).
Les chartriers et les terriers permettent de reconstituer les domaines (et même les paysages), comprendre les évolutions économiques.
Les testaments et donations montrent le rôle d’intercession de Vernaison, bien placé dans la « concurrence » entre établissements (25 % du chartrier de Vernaison, au XIVe siècle, portent sur des testaments – 11 % pour celui de Léoncel). Cette masse financière permet à l’abbaye féminine de ne pas se fondre dans un établissement masculin, et de résister aux crises.
Les testaments sont associés aux sépultures dans l’église : cela ouvre un champ d’étude, maintenant que l’église de Vernaison est accessible.
Michèle BOIS – Les moniales du vallon de Combeau, traces et légendes.
Le Cahier de Léoncel n° 11 « Le Vercors monastique » (1995) fait état de la fondation ancienne du monastère féminin de Combeau, datée traditionnellement du VIIe siècle : ce serait le premier établissement monastique du Vercors. L’abbaye de Prébayon, qui serait la fondatrice du prieuré de Combeau, a en effet une histoire commencée en 611. Mais rien ne permet d’affirmer l’existence du prieuré de Combeau à cette période.
Les traces dans les textes sont rares, mais la mention d’une « priorissa de Combellis » prouve la réalité d’un établissement religieux féminin au XIVe siècle.
La localisation de l’établissement a suscité des hypothèses diverses (aux Nonnières par exemple – mais l’étymologie écarte cette possibilité). L’étude des toponymes et des plans cadastraux amène à proposer l’implantation du prieuré au pied du « bois de l’église », vers la « grange de Rachier », succédant à la grange de Combeau. Aucun reste de bâti n’apparaît au sol.
Vallon de Combeau, détail de la carte au 1 /25 000 de l’IGN (limites cadastrales en orangé)
Josselin DERBIER – La place des femmes dans les chartes de Bertaud.
La recherche s’est fondée sur une analyse des 268 chartes concernant l’abbaye féminine de Bertaud (Cahier de Léoncel n° 29 et n° 30) recherchant les femmes citées et leur place dans l’institution.
Malgré le nombre d’occurrences trouvées, le travail ne montre pas une place éminente des femmes, guère mieux que dans les chartes des établissements masculins. Quelques femmes sont expressément nommées, ce qui permet une carte des recrutements.
Le rang social, quand il est connu, fait apparaître une majorité de religieuses d’origine bourgeoise ou paysanne, et non noble.
En conclusion, l’étude confirme la faible place des femmes dans cette société médiévale. Mais il convient de garder en tête la taille et la qualité du corpus.
Denis HYENNE – Léoncel et le Chaffal dans la bataille du Vercors.
La marche commentée des Amis de Léoncel, en 2021, avait permis des échanges entre marcheurs sur le « combat du Chaffal » et l’occupation allemande de La Vacherie et de Léoncel en 1944. Ces souvenirs sont à l’origine de chroniques insérées dans le présent site (mot-clef de recherche : résistance). Un article publié par Études drômoises n° 95 synthétise les événements militaires de l’été 1944 : la communication résume cet article.
La discussion de fin de journée montre l’intérêt du sujet et l’ampleur des recherches à poursuivre – par exemple sur les sources modernes concernant Vernaison.
La bonne organisation de la journée a été assurée par l’association Châteauneuf Histoire et Patrimoine chaudement remerciée par l’ensemble des participants.