Les chroniques de Léoncel, 8
Cliché MW
De ce premier siècle, les Archives Départementales de la Drôme conservent nombre de chartes originales rédigées sur parchemin. Elles constituent un véritable trésor. Quelques autres nous sont parvenues sous la forme de copies plus ou moins anciennes, parfois certifiées conformes (« vidimées ») par un personnage digne de foi.
Nous trouvons également des renseignements dans les archives du Vatican, de Cîteaux l’abbaye chef d’ordre (notamment dans les registres de délibérations du chapitre général de l’ordre réuni chaque année), dans celles de Bonnevaux ou de monastères voisins avec lesquels Léoncel a entretenu des relations. Certaines bibliothèques comme celles de Grenoble ou de Carpentras, possèdent aussi des fonds anciens utiles.
Les latinistes ont réalisé des transcriptions, parfois des reconstitutions de toutes ces chartes et les ont publiées. Nous avons déjà salué le travail accompli par le chanoine Ulysse Chevalier en ce qui concerne Léoncel. Pour le premier siècle, il a rassemblé, parfois en les regroupant, quelque 130 chartes. Parmi elles, nous relevons 10 bulles ou rescrits pontificaux (des papes Innocent II, Eugène III, Alexandre III, Lucius III, Clément III et Innocent III). Les papes étendent leur protection, soutiennent la communauté monastique lors de difficultés avec les puissants, rappellent des règles de conduite essentielles, réaffirment les privilèges accordés à l’ordre de Cîteaux et énoncent les éléments géographiques constitutifs successifs du domaine temporel.
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Daté de 1178, un diplôme impérial de Frédéric Barberousse, alors très opposé au pape Alexandre III, et désireux de rappeler sa souveraineté sur la partie sud-occidentale de son empire, énumère lui aussi les biens de notre abbaye. D’autres chartes manifestent la bienveillance de grands seigneurs comme les dauphins de Viennois, les comtes de Provence, de Toulouse, les seigneurs de Tournon. Ils se montrent soucieux de protéger et de faciliter les déplacements des moines et leurs entreprises économiques. Plusieurs chartes émanent naturellement des Poitiers, comtes de Valentinois et seigneurs d’Eygluy.
Des chartes mettent en scène aussi des prélats, notamment les évêques de Valence, un temps en rivalité avec leur confrère de Die sur le diocèse duquel s’est installé le monastère, qui souhaitent installer plus solidement les moines dans la plaine de Valence, favoriser et certifier les donations à leur profit, et jouer les médiateurs en cas de situation conflictuelle.
Plusieurs chartes traitent des relations avec d’autres religieux : ceux de monastères de la plaine dont, notamment, l’abbaye de Saint-Félix et son prieuré de Coussaud près d’Alixan, ceux de la communauté pieuse de la Part-Dieu qui allait fusionner avec Léoncel, ceux de Bouvante, les voisins chartreux, avec lesquels un sérieux différend éclaté en 1190-1192 devait trouver une issue rapide.
Environ 80 chartes nous renseignent sur la naissance et le développement du domaine temporel de l’abbaye dont les grandes caractéristiques sont :
- l’utilisation de l’étagement des milieux naturels entre la plaine de Valence et la montagne d’Ambel et entre la moyenne vallée de la Gervanne et le Royans; l’habileté des moines à contrôler les chemins nécessaires à l’animation économique du domaine et les relations avec la plaine de Valence et Romans, avec Die et avec les alpages de la Saulce et d’Ambel;
- la dissémination des terres d’implantation cistercienne entre plusieurs mandements: Saint-Nazaire, Eygluy, Baix, Montclar, Gigors, Châteaudouble, Chabeuil, Alixan, Châteauneuf, Pisançon. Cette dispersion (bien différente de la concentration d’un domaine d’un seul tenant de plus de 8000 hectares autour de la chartreuse de Bouvante) explique que l’abbaye n’ait jamais exercé, sauf localement sur un « devès » plutôt modeste puisque réduit aux alentours immédiats de l’abbaye, toutes les prérogatives, notamment judiciaires d’une seigneurie, même lorsque, dans ses relations économiques et fiscales avec le monde rural, elle en était une.
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Ces chartes traitent de donations ou de cessions, moyennant une contrepartie morale ou financière, de biens fonciers, de droits à exercer ou à percevoir, de confirmations mais aussi de contestations et parfois de procès. Elles manifestent aussi la confiance accordée à la communauté monastique à laquelle on demande d’intercéder par la prière et par le culte pour salut des hommes. Parmi les donateurs, il y a quelques petites gens, et de nombreux seigneurs et dames comme ceux et celles de Châteauneuf, de Flandènes, de Rochechinard, de Clérieu, de Gigors, du Royans, de Suze, de Chabeuil, de Baix ou de Châteaudouble.
Ces chartes, enrichies de la liste des témoins de chacun des évènements, révèlent un premier siècle marqué par la construction du monastère et des granges, par la mise en place du domaine temporel alors exploité en faire-valoir direct selon les préceptes de la règle de saint Benoît et des premiers textes cisterciens, par la reconnaissance mutuelle des sphères d’influence de l’abbaye et de la chartreuse voisine et par l’intégration au sein de la communauté cistercienne des « pieux hommes » de la Part-Dieu.
Bien entendu, les lieux et les vestiges que les Amis de Léoncel s’efforcent de localiser et d’authentifier viennent en renfort de ces chartes les plus anciennes.
1er juillet 2009, Michel Wullschleger