Même si les historiens du Dauphiné ont numéroté les guerres de religion de 1 à 8, même si l’on peut souligner des nuances, tenir compte de personnalités qui s’affirment puis disparaissent, ou encore repérer des étapes, ces guerres constituent en réalité dans notre histoire une seule et longue période de guerre civile, associant aux fondements proprement religieux des revendications sociales, illustrées par la révolte des petites gens et notamment des paysans devant la multiplication et le poids des impôts, devant l’obligation d’entretenir les forces militaires, devant la difficulté à s’acquitter des droits féodaux, et d’une façon beaucoup plus insidieuse devant les conséquences financières et économiques de l’afflux d’or et d’argent des Amériques. Des formes de banditisme accompagnées de pillages, de rançonnements, de destructions et d’incendies, apparaissent par exemple sur le piedmont du Vercors, de Pont-en-Royans à Châteaudouble , ou autour de Loriol et Livron.
On pense aujourd’hui qu’ Henri III, le plus décrié sans doute des rois de France, victime notamment d’une mauvaise interprétation du mot « mignon » désignant ses camarades de combat, avait l’étoffe d’un grand souverain. Effectivement il se comporta parfois en monarque sachant imposer sa volonté réfléchie pour mettre un terme à la confusion qui l’entourait. Mais il ne parvint pas à se constituer un entourage à la hauteur de la situation. Par ailleurs, mystique et premier roi à s’attacher un confesseur jésuite, il multipliait les démonstrations de sa foi catholique (nuits en prière, pèlerinage…). Certains de ses contemporains jugèrent qu’il vivait « plus en capucin qu’en roi ». Néanmoins, il tenta d’améliorer le fonctionnement du Conseil et fit appel aux Etats Généraux avec la volonté de rétablir la paix et l’ordre (Grande ordonnance de Blois en 1579). Il intervint dans la vie économique, prônant le protectionnisme et le développement des manufactures (soieries, verrerie). Montaigne en littérature, et, dans les Arts, Philippe Delorme (Les Tuileries), Germain Pilon ( sculpteur), Bernard Palissy (céramiste et verrier), Jean Bullaut (Chantilly), ont donné du lustre à son règne. Mais la minceur du Trésor royal, le gaspillage généralisé et les luttes stériles mirent à mal ses efforts.
Ancien chef du parti catholique, Henri III, souffrit du jeu trouble et ambigu de son frère François , duc d’Alençon, puis nouveau duc d’Anjou, qui, déjà, sous Charles IX avait fréquenté, voire animé les « Malcontents ». Les conflits religieux reprirent jusqu’à la « Paix de Beaulieu » (6 mai 1576) dite « Paix de Monsieur »,compte tenu du rôle de François qui, profitant de cette trêve se fit octroyer un vaste apanage de part et d’autre du Pont de la Charité sur Loire. Pour sa part, Henri de Navarre qui s’était converti lors de la Saint Barthélemy retourna au protestantisme. En 1576 les catholiques se regroupèrent en groupes d’auto – défense qui constituèrent la Sainte Union Catholique ou Sainte Ligue, appuyée par le Duc de Guise, alors en rupture avec les Valois. Les Guise et la Ligue voulaient rétablir l’unité religieuse du Royaume de Clovis, et imposer au roi le retour aux anciennes libertés des Provinces. Henri III se déclara « chef de la Ligue » pour couper l’herbe sous le pied des Guise et pour bénéficier de l’aide d’une force armée qu’il était incapable financièrement de fonder et d’entretenir.
Les catholiques remportèrent plusieurs succès. La Paix revint en 1577-78, mais les protestants reprirent la guerre dans le Midi. Le duc d’Anjou, pressé d’accéder à un destin royal, tenta de se rapprocher des protestants des Pays Bas, au grand dam du roi d’Espagne Philippe II. Mais il mourut en 1584. Or, il était l’héritier d’Henri III, puisque le couple royal n’avait pas d’enfant. Cette disparition rapprochait Henri de Navarre du trône de France, bien qu’il fût hérétique et relaps.
La Ligue se reconstitua autour de Henri de Guise qui estimait son heure venue et qui avait le soutien de Philippe II. Mais Guise fut assassiné. Allait disparaître aussi Catherine de Médicis qui, avant de mourir, conseilla à Henri III de se réconcilier avec Henri de Navarre. Troubles et combats reprirent de plus belle. Le roi fut poignardé le 1° août 1589 par le moine Jacques Clément. Il mourut le lendemain après avoir désigné Henri de Navarre comme son successeur. Ce dernier allait devoir conquérir son royaume et en particulier Paris. Il remporta plusieurs batailles en 1589 et 1590, dont celles d’ Arques et Ivry. La Ligue dirigée par le Duc de Mayenne désigna alors le vieux cardinal de Bourbon qui acceptait d’être roi sous le nom de « Charles X », mais qui mourut en mai 1590. Le siège de Paris dura deux ans . Henri de Navarre abjura le 27 juillet 1593, ce que le clergé de France admit beaucoup plus vite que Rome. Sacré Henri IV à Chartres, le nouveau roi fit son entrée à Paris le 22 mars 1594. Il devait promulguer l’Edit de Nantes le 13 avril 1598.
Lors de l’avènement d’Henri III, l’abbé Alexandre Faure séjournait à Valence. Il profita du passage du nouveau roi à Romans pour obtenir des lettres de sauvegarde et de protection des moines de Léoncel et de toutes leurs propriétés. Mais les protestants restaient en armes et très présents dans les campagnes. La Paix dite « de Monsieur » en 1576 offrit quelques semaines de calme . L’abbé se rendit à Léoncel pour signer des baux et pour donner au prieur des consignes pour rétablir un peu d’ordre dans la communauté monastique.
En 1577 dans une nouvelle période belliqueuse, l’abbé qui avait fait construire un fort à la Part-Dieu pour mettre les choses les plus précieuses à l’abri du pillage, sollicita du chef catholique dauphinois Gordes l’autorisation de se retirer au château de Pellafol, au dessus de Barbières, mais cette forteresse étant tombée entre des mains hostiles, il gagna Romans. L’Édit de Poitiers mettait théoriquement fin à cette phase guerrière, mais il ne fut respecté par aucun des deux camps. Gordes disparut en 1578. L’effervescence populaire liée aux impôts et à l’entretien des soldats tourna en véritable « jacquerie ». Des évènements graves, mais très significatifs, se produisirent comme l’ insurrection paysanne de 1579 sur les deux rives du Rhône, en Vivarais et en Dauphiné contre la surcharge d’impôts et le rachat des terres par les privilégiés et par la riche bourgeoisie, habile à se faire exempter, comme aussi le fameux Carnaval de Romans (1579-80) au cours duquel se révoltèrent les artisans eux aussi écrasés d’impôts et qui accusaient les notables de s’enrichir à leurs dépens, comme encore les ravages causés par des bandes armées parcourant le pays. L’une, partie de Châteaudouble incendia une partie des bâtiments de la grange cistercienne du Conier. Bientôt la menace surgit de la destruction des châteaux, voire de monastères comme la chartreuse du Val Sainte-Marie ou l’abbaye de Léoncel, afin de priver les bandes de points d’appui. Maugeron, successeur de Gordes, ne donna pas suite.
Romans fut une des premières villes à se déclarer pour la Ligue dont l’abbé Faure se montra très partisan. La dernière (et 8ème ) phase de la guerre commença en 1585, en dépit de la peste. La lutte reprit. Mais le gouverneur de la ville de Romans signa un traité secret avec Lesdiguières. Pour des raisons sécuritaires, l’abbé de Léoncel gagna Lyon , confiant à son procureur, Antoine Guérin, la gestion des affaires temporelles de l’abbaye (baux à ferme, reconnaissances). A la mort du roi, il se trouva en grande difficulté. En effet, Henri IV fit don au baron de la Roche des deux tiers des fruits et revenus de l’abbaye de Léoncel et ce qui en dépendait, acquis à la monarchie « par la rébellion de l’abbé ». Sa majesté s’en réservait le dernier tiers !
Le baron de la Roche prit possession et dès le mois de mai 1591 confia à son épouse, le soin d’arrenter à un bourgeois de Romans « le domaine et grangeage de la Part-Dieu, ensemble la grange de Saint-Martin d’Allemenc et le moulin de Charlieu ». Il ne tira rien par contre de l’abbaye et des terres dans la montagne, dont les protestants percevaient les revenus depuis 1857.
Après la conversion du roi, Alexandre Faure fit sa soumission à la fin de 1593 ou au début de 1594. Il reprit en main, par les soins de son procureur, Antoine Guérin et de Jean de Morges, la gestion du domaine. Il resta encore 13 ans, abbé de Léoncel. On trouve dans les archives des séries de baux à ferme, qu’il accordait comme « un vulgaire bourgeois à divers particuliers » (Jules Chevalier). Solitaire, toujours gyrovague il séjourna près de La Mure, à Grenoble, à Valence ou à Romans, dans la maison de l’abbaye, essentiellement soucieux de gérer au mieux le domaine temporel, mais le plus souvent isolé de sa communauté monastique de Léoncel et peu inquiet de spirituel et de réforme.
Il vendit aux enchères publiques les terres du Plantier, à Chatuzange, pour faire face à des taxes frappant l’abbaye. Puis le silence s’imposa, sauf dans l’ écho de l’encaissement d’une somme due par le seigneur de Beaufort pour l’utilisation d’un tènement relevant du cellier des moines.
Alexandre Faure mit alors en route, avec l’agrément de l’ordre de Cîteaux, le processus de l’élection de son successeur. Les moines choisirent Pierre Frère. Mais avant de disparaître totalement, l’ancien abbé Faure participa au règlement définitif (et bien tardif) de l’épisode de la vente du Conier sous le règne de Charles IX. Les députés du clergé du diocèse de Valence reconnurent devoir à l’abbaye une somme de 2200 livres de capital qu’ils s’engageaient à verser dans un délai d’un an, somme à laquelle s’ajoutait, pour dédommagement et intérêts, 3200 livres à verser dans le même délai d’un an au sieur Faure, ancien abbé. Ce dernier vivait encore en 1607, date à laquelle il affermait, au nom de l’abbaye et du nouvel abbé, le domaine de la Part-Dieu, le moulin de Charlieu et toutes les dîmes du monastère à collecter dans le Mandement de Pisançon, pour quatre année et au prix de 850 livres par an…
1er juin 2011 Michel WULLSCHLGER