A la fin de l’année 1781, l’ordre de Cîteaux nomma Dom Joseph Prost prieur claustral de Léoncel en remplacement de Dom Poncelin. Il fut confronté à un faisceau de difficultés symbolisant la triste situation de l’abbaye à la veille de la Révolution, notamment sous la forme d’une série de procès en cours devant le Parlement de Grenoble.. Pour faire face, le nouveau prieur vendit une coupe de bois sur la montagne de Toulau, dans un espace possédé en indivis avec les Sassenage, héritiers ici du duc de Tallard.
Le procès de Barbières était encore plaidé en 1788. se prolongeait. L’abbaye se heurtait aussi à un négociant en bois de Bouvante nommé Terrot qui encourageait les villageois à couper à son profit du bois de hêtre au quartier de Comblézine, et qui patronnait une première transformation des bois avant de les exporter hors du massif. Il semble, et Dom Prost en fut bien marri lorsqu’il s’en rendit compte que la méconnaissance de Dom Poncelin, son prédécesseur, de la géographie du domaine temporel, et la roublardise de Terrot aient grandement favorisé ces coupes d’autant plus illégitimes que réalisées dans un quartier des forêts de l’abbaye représentant pourtant l’essentiel du « quart en réserve » , désigné par la Commission de restauration en 1726 . Le complément, comme on l’a vu, se trouvait à l’Epenet.
L’abbaye était aussi en procès au sujet du domaine du Grand Talon (ou « Grand Tanon » selon Cassini) en plaine de Valence. Il s’agissait d’une partie du vieux et vaste domaine de Parlanges de quelque 5OO sétérées (un peu plus de 100 hectares à la mesure de Chabeuil). L’’ensemble de Parlanges avait été albergé en 1464 par l’abbé Jean Béranger, et relevait donc pour sa part du droit féodal. Le Grand Talon venait de faire l’objet d’une vente, mais le vendeur avait fraudé sur le prix, dont tout de même un sixième devait revenir à l’abbaye , et n’avait pas acquitté les lods, c’est-à-dire des droits de mutations. Ces terres de Parlanges se trouvaient légèrement au sud du domaine du Conier qui, lui, relevait du droit moderne et était confié à un fermier.
L’abbaye était encore en conflit, pour cause de pâturage abusif, avec le propriétaire d’un troupeau arlésien qui avait commis des dégâts importants en forêt.
La grande affaire allait être provoquée par l’abbé Gripière de Moncroc. Alors qu’il se désintéressait totalement de la vie de la communauté monastique, l’abbé commendataire assigna brusquement les moines devant le Grand Conseil du Roi, afin d’établir un nouveau partage des revenus. Il avait réalisé que le traité de 1697 n’était qu’une simple convention sans support juridique. Il demandait donc la transformation de la convention en acte juridique avec l’espoir que le retour au principe initial de la commende, celui du partage des revenus non pas en deux parts, mais en trois, dont l’une concernant toutes les charges, lui permettrait de gérer aussi cette dernière et d’en tirer quelques avantages financiers personnels.
Un abbé régulier cistercien tenta une conciliation pour empêcher le procès. En vain. Mais il mit le prieur et les moines en relation avec une personnalité capable de les aider à organiser la résistance.
Maître Chaillon, procureur au Conseil du Roi, adressa à la communauté monastique une lettre , datée du 155 novembre 1784 dans laquelle il exposait une stratégie . L’essentiel étant de gagner du temps, il conseillait d’accepter le principe de la révision du traité, tout en souhaitant le maintien, par décision juridique, du statuquo, jusqu’à la fin des tractations ; de tenir bon sur le principe de faire peser les éventuels frais de l’opération sur le demandeur ; de commencer par établir un état des biens, certains se trouvant « hors partage ».C’était le cas des biens dits « du petit couvent », acquis depuis 1681, date de la mise en place de la commende; de ceux affectés aux grands offices claustraux traditionnels à condition que les moines exerçant ces charges en jouissent à titre de bénéfices (cette sorte de partage n’existait pas à Léoncel) ; de ceux qui avaient été retirés ou rachetés par la communauté et pour lesquels l’abbé devait rembourser le tiers du prix en rachat.
Les négociations furent si longues qu’elles se poursuivaient encore au mois de juin 1789, ce que prouve la mise aux enchères des baux à ferme du cellier de Beaufort, de la Maison Blanche, de Saint-Martin, du moulin de Charlieu et de la Part-Dieu. Les évènements de la seconde moitié de l’année 1789 arrêtèrent le processus juridique.
Subsiste le problème de la date de l’incendie de la forêt de l’Epenet. Plusieurs auteurs le considèrent comme un épisode de la Grande Peur et donc le situent en juillet 1789. Et ils estiment pouvoir s’appuyer sur l’accord passé en octobre 1789 entre les moines et des particuliers de Barbières et de Samson pour le nettoyage de la forêt brûlée, accord favorisé par une ordonnance des Eaux et Forêts. Mais il semble bien que cet incendie, fort inquiétant pour l’abbaye, se soit produit en réalité pendant l’année 1788, en relation avec le procès : nous avons en effet un constat daté de février 1789.
1ER juillet 2012 Michel WULLSCHLEGER.