UNE NOUVELLE GEOGRAPHIE ADMINISTRATIVE En 1790, le département de la Drôme était divisé en six « districts », ceux du Buis, de Crest, de Die, de Montélimar, de Romans et de Valence. Celui de Valence comptait neuf cantons (ceux de Bourg-lès-Valence, Chabeuil, Etoile, Loriol, Montélier, Rochefort-Samson, Saint-Jean en Royans, Tain et Valence). La commune de la Vacherie, dite parfois au début de la Révolution « La Vacherie et Léoncel » fut réunie en floréal An VI à celle de Peyrus, puis en germinal An VII, distraite de celle de Peyrus et unie à celle du Chaffal pour ne former , comme c’est curieusement encore le cas aujourd’hui en 2012, qu’une seule commune, dite du Chaffal. Pour sa part, la commune de Léoncel fut fondée le 20 avril 1854 avec des sections prises aux communes voisines du Chaffal, de Châteaudouble et d’Oriol-en-Royans.
9-11 OCTOBRE 1790 : INTERVENTION DU DISTRICT DE VALENCE ET DISPARITON DE L’ABBAYE. Le 9 octobre à six heurs du soir, Lambert, « membre du directoire » et Royanez « administrateur du district de Valence » signent un procès-verbal dans lequel ils déclarent qu’ils sont « arrivés à l’abbaye de Léoncel pour procéder de conformité au délibéré du conseil d’administration du district (en date du 25 septembre dernier), fait sur ordonnance du Directoire de Département du 21 du même mois, à la requête de Dom Jean-Baptiste Jacotot, prieur et syndic » et qu’ils ont … « fait avertir les officiers municipaux de la Vacherie de se rendre à 8 heures du matin le lendemain, afin de vérifier et recevoir (conjointement) les meubles, effets, titres, papiers, documents compris ou non compris dans l’inventaire, pour les remettre à la garde de la dite municipalité sous sa responsabilité. Et le surplus être par elle transporté dans les archives du directoire de district ».
Le directoire de district intervenait donc à son tour afin d’établir un procès-verbal de vérification et de rémission des mobilier, effets, titres et papiers de l’abbaye de Léoncel. Le maire de la Vacherie, Jacques Vignon, deux officiers municipaux Joseph Eynard et Jean-Pierre Eynard, le procureur de la commune Jean-Pierre Moulin étaient présents. Les visiteurs effectuèrent une vérification commune de l’Inventaire qui se révéla parfaitement conforme aux objets exhibés par les moines. Les représentants du Directoire laissèrent à Dom Bernard, en tant que curé de la paroisse, un certain nombre d’articles, à charge pour lui de les présenter à la moindre réquisition. Il se vit d’abord attribuer ce qui avait fait l’objet de l’inventaire dans la sacristie, dans l’église, dans le cimetière. S’y ajoutèrent trois chasubles « l’une velours noir, les deux autres satin cramoisi et blanc en galon faux ». On lui laissa aussi les moyens de cuisiner : tourne- broche, petit attirail de cuisine, un four de campagne, une table à deux tiroirs, cinq casseroles rouges, un grand chaudron de cuivre rouge, deux marmites en fer, une passoire de cuivre, une « pouêle » à frire, une hache, un mortier en pierre dure, deux arrosoirs en fer-blanc, un rouet, un garde-manger et deux couverts avec une cuillère à ragoût, tout ce qui se trouvait dans sa chambre (meubles lui appartenant et bois de lit attenant au mur), des draps de maître et des draps de domestique, des tabliers, nappes, ce trousseau plutôt en mauvais état, deux tonneaux d’environ 4 charges chacun, l’un avec une charge et demie de vin. Dom Bernard conserva « une vieille jument pour le service de la cure, fort étendu et difficile » du fait des montagnes escarpées ou pour se procurer les provisions journalières qui ne peuvent être prises qu’à Romans (4 lieues) et Valence (6 lieues), de quoi loger convenablement un étranger, enfin une horloge de « comtée » (sic), avec sa caisse située dans la cuisine mais non recensée dans l’inventaire. Ainsi fut occupée la matinée du 10 Octobre 1790.
Dans l’après-midi, les représentants du directoire remirent à chacun des deux autres moines, Dom Jacotot et Dom Grillon, les meubles leur appartenant. Tout le reste fut confié à la garde des officiers municipaux : meubles, effets, un alambic de cuivre rouge, des sétiers de grain, des arches pour la farine, tout un matériel de couchage (lit, paillasses, couvertures, etc). que les officiers municipaux promirent de « bien et fidèlement »garder et représenter à la première réquisition faite par le directoire de district. On passa alors à la vérification des titres, papiers, documents insérés. Seul petit incident, Dom Jacotot fut prié de s’expliquer sur le grand désordre régnant dans l’armoire. Il répondit qu’à l’poque où la maison fut fort menacée d’incendie, comme il l’avait indiqué dans sa requête au directoire du département, il crut bon de faire porter à minuit tous ces documents au domaine du Conier. Mais le transfert se fit avec une telle célérité que l’ordre dans lequel se trouvaient ces papiers ne put être conservé. Il assura que par les précautions prises, il ne pensait pas en avoir égarés, déclara ne pas en connaître d’autres et ignorer s’il en existait dans des dépôts particuliers qui soient relatifs aux intérêts de la nation. Mais il dit savoir qu’il s’en trouvait aux mains de M.Revol, procureur au Parlement de Grenoble, à Valence chez M. Pinet, procureur, à Die chez M. Rochas, procureur, les premiers relatifs à un procès avec les communautés villageoises voisines, les suivants relatifs au partage entre prieur et abbé commendataire, les derniers traitant de procès-verbaux contre divers particuliers pour des dévastations en forêt. Comme l’état des archives ne permettait pas le dépouillement « sous un temps déterminé », on fit cinq sacs, attachés, scellés avec le sceau du district et confiés à la municipalité chargée de les faire transporter, « avec sûreté », dans les archives du directoire de district où lui serait délivré un acte de rémission. L’après-midi s’acheva avec l’examen des comptes de recettes et dépenses sur le livre journal, avec l’apurement des avances faites par les moines, avec l’arrêt du registre avec signature et sa mise en sac pour transport aux archives du district.
Le 11 octobre 1790, le prieur remit des quittances, conventions privées, extraits en forme de baux à ferme. Dom Jacotot fit une dernière déclaration, suppliant le directoire de district de bien retenir qu’il était arrivé à Léoncel en qualité de prieur le 29 septembre 1788, qu’à son entrée dans la maison il n’avait trouvé que 33 livres, que la maison « était au moment de crouler » que des étais soutenaient tous les appartements, que la situation de cette maison entre deux montagnes faisait qu’on y éprouvait le froid le plus excessif, d’où les réparations entreprises pour mettre les religieux et lui-même à l’abri des injures du temps, et que l’hiver approchant il avait fourni de sa poche « sur les épargnes de sa pension » de quoi commencer les réparations « essentielles et nécessaires, sans lesquelles la maison aurait été inhabitable. Il précisa qu’il n’avait pas porté en dépenses ses avances, plus de 300 livres, qu’il jugeait être en droit de rappeler et qu’il s’en remettait « à la justice de Messieurs du directoire ». Ensuite, les trois religieux « pour sûreté du payement de la pension » qui leur était accordée selon les décrets de l’Assemblée nationale, hypothéquèrent sur la généralité des biens de leur ordre, spécialement sur ceux de l’abbaye de Léoncel qu’ils abandonnaient. C’est ainsi que de façon plutôt médiocre, le 11 octobre 1790, se terminèrent six siècles et demi de présence cistercienne à Léoncel l’abbaye ayant été fondée le 23 août 1137. En écho aux craintes des moines pour leur avenir matériel, Lambert et Royanez , avant de regagner Valence, déchargèrent la municipalité des quatre couverts d’argent, d’une cuillère à ragoût, d’une cuillère à soupe, pour les remettre au district.
DERNIERS AJUSTEMENTS Le lendemain, comme nous l’apprend un extrait du registre des délibérations du directoire, le rapport des deux commissaires fut approuvé. On décida que « pour éviter le dépérissement des denrées confiées à la municipalité », il serait procédé devant les mêmes commissaires, à la vente des dits effets et denrées, après publication et affichage à la diligence de la municipalité, tant à la Vacherie qu’aux lieux « circumvoisins », huit jours à l’avance. Le prix de la vente devait être remis au receveur de district, frais de voyage des commissaires et frais de vente prélevés. Cette vente eut lieu le 25 octobre 1790, à partir de 9 heures du matin, dans l’une des salles de l’abbaye, sous la présidence de Royanez et de Gachon qui remplaçait Lambert. La municipalité avait fait apporter les objets à vendre, et en présence des officiers municipaux et du curé Bernard, la vente se déroula sous la proclamation de Gachon. Il y eut 42 articles et leur vente occupa toute fut la journée du 25 et la matinée du 26 octobre. Les acheteurs venaient pour la plupart de la commune et de la paroisse. Mais on retiendra la présence du curé du Chaffal (achat de chaises et de literie) et de celui de Châteaudouble (un tonneau, de vieux livres en style gothique « reliés en parchemin », une bible, deux traités de théologie). Le montant de la vente ne dépassa pas 732 livres 9 sols.
Le 18 janvier 1791 fut encore, organisée une vérification des « comptes de régie des religieux composant le monastère de Léoncel. Elle souligna que la dépense « autre que relative à l’administration des Biens Nationaux se portait à 3120 livres 13 sols et le traitement des dits religieux, suivant les décrets, à 2800 livres ». Le directoire procéda à la lecture d’un mémoire explicatif de Dom Jacotot. Ce dernier soulignait que si la dépense avait absorbé le traitement des religieux, on ne pouvait l’attribuer qu’à des circonstances qui devaient fixer l’attention des administrateurs. Plusieurs fois les religieux avaient été assaillis par 500 ou 600 paysans qui les avaient mis à contribution et qu’ils n’avaient pu mettre à raison qu’en vidant leur poche et en leur donnant à manger. Jacotot déclarait « avec vérité » qu’il lui en avait coûté plus de 300 livres, déclaration qu’il n’avait pas « osé faire dans le temps par crainte pour ses jours » De plus, écrivait-il, dans les différentes fédérations, les gardes nationales qui se sont toujours arrêtées à Léoncel ont occasionné aux religieux de fortes dépenses. Enfin l’ancien prieur rappelait qu’à la reddition des compte il avait remis aux commissaires, en recette pour l’année 1790, la somme de 8334 livres, dix sols, outre celle de 125 livres remise pour être déposée dans la caisse du district. Le directoire décida alors de décharger les religieux de la somme de 320 livres 13 sols, équivalant à la différence entre la dépense effectuée et le traitement alloué, et de rendre à Jacotot 15 livres, montant d’un compte des frères Johain, marchands à Romans. Plus tard, en vertu de la loi du 6 août 1791, les cloches et objets en argent durent figurer sur un nouvel inventaire, avant transfert à l’hôtel des monnaies.
Il convient à nouveau de souligner la correction des relations entre les moines de Léoncel et les autorités municipales ou du district. En témoignent notamment l’installation de Dom Bernard comme nouveau responsable de la paroisse et certains règlements financiers. On peut aussi mettre en relief le sérieux avec lequel les différents représentants de la Nation conduisaient leur mission.
Mais on retrouve encore l’hostilité villageoise, non pas envers les hommes, en tant qu’individus, mais envers ce symbole d’un passé rejeté qu’était devenue l’abbaye en tant que communauté monastique appartenant au monde des privilégiés, et restreignant l’exercice des doits d’usage sur les alpages et en forêt. Les désordres forestiers se prolongeaient donc, opposant désormais les usagers aux nouvelles autorités communales et au service national des Eaux et Forêts. Ces usagers continuaient de considérer les forêts et les alpages comme un espace librement ouvert à leurs entreprises d’abattage, de défrichement, et de vie pastorale.
Nous retrouverons bientôt les domaines de la plaine devenus biens nationaux et très vite vendus en tant que tels. Par contre nous donnons ici les dernières nouvelles de l’abbé commendataire Samuel de Gripière de Moncroc.. Il ne mérite , dans l’histoire de l’abbaye cistercienne de Léoncel, que des mentions concernant sa relation intime et exclusive avec MAMMON , ce dieu syrien fustigé par l’Evangile . « Résidant à Paris, rue de l’Université », il se vit attribuer en 1791 un traitement de 6000 livres, payables en quatre trimestres. Il avait obtenu en 1790 une somme identique amputée, sur intervention de Dom Jacotot, de 803 livres « pour excédent de sa recette sur la dépense des revenus de Léoncel ».
1er septembre 2012 Michel Wullschleger