LA TRAVERSEE DU TERRITOIRE DE PELLAFOL

leoncel-abbaye-67.1 Ulysse Chevalier, dans son cartulaire de l’abbaye de Léoncel a regroupé en un seul texte, sous le numéro 273, le récit de trois accords liés, datant de mars-avril 1295 (RD 14480,14488, 14511) et donc très voisins dans le temps, concernant la traversée du territoire de Pellafol par les troupeaux de l’abbaye.
« Au nom de notre Seigneur Jésus Christ, amen. Que le présent document officiel permette à tous de n’avoir aucun doute sur le fait que, sept jours avant les ides de ce mercredi 8 mars de ‘année 1295 à dater de l’incarnation d notre Seigneur, une vive querelle où fusaient maintes doléances et réclamations, opposait devant l’église de la maison de la Part-Dieu d’une part le vénérable père en Christ Giraud de Vassieux, abbé par la grâce de Dieu du monastère de Léoncel dépendant de l’ordre de Cîteaux, lequel s’exprimait en son nom et en celui de sa communauté, et d’autre part Guigues Barnard, simple damoiseau : en total désaccord avec le sus dit abbé, Guigues soutenait en effet que, compte tenu de ce que les animaux de ladite abbaye ou des maisons et des bâtiments où ils stabulaient et qui étaient situés à proximité, pénétraient sur le territoire du mandement de Pellafol où ils trouvaient nourriture dans les pâturages,
leoncel-abbaye-67.2l’abbé avait en retour l’obligation de lui remettre chaque année un mouton, alors que le religieux, démentant quant à lui, cette assertion, alléguait en revanche que ce même Guigues en personne avait, tout comme déjà ses prédécesseurs, causé bien du tort et porté grandement préjudice à sa communauté. Il s’avère toutefois que, alors que faisait rage cet affrontement, l’active médiation d’amis communs eut pour effet de déterminer les deux parties qui du reste souhaitaient éviter de donner matière à un procès en justice ponctué de diatribes et de débats orageux, à s’en remettre à des intervenants capables de se prononcer avec discernement, à savoir Jean de Vachères, chapelain de l’église Saint Nicolas de Beauregard et Guillaume d’Hostun, arbitres reconnus être tous en charge de régler ce litige à l’amiable, dont elles promirent d’accepter la décision, sous peine d’âtre sanctionnées à hauteur de vingt livres viennoises.

leoncel-abbaye-67.3Les susdits arbitres dont le rôle était de restaurer un climat de quiétude et de bonne entente, après avoir entendu les intéressés exposer ce qui leur posait problème, après avoir pris la mesure de leurs points de désaccord, après les avoir attentivement examinés et en avoir délibéré, se prononcèrent en prescrivant et en édictant comme ligne de conduite ce qui suit :s’il est vrai que le sus dénommé Guigues ou ses prédécesseurs ont jusqu’à ce jour commis de graves manquements à l’encontre de l’abbaye de Léoncel et de sa communauté néanmoins tout, tant Guigues que ses devanciers et ses héritiers, comme entièrement quittes, totalement lavés et même absolument blanchis de leurs méfaits passés, à charge dans ces conditions d’une part pour l’abbé non seulement de leur en faire remise et de les en absoudre, mais aussi de nourrir de meilleurs sentiments à leur égard et d’autre part pour eux de reconnaître qu’ils ont lourdement failli en maintes circonstances à l’encontre de la susdite abbaye et que leurs récriminations et leurs revendications étaient donc injustifiées. Il est en outre enjoint à Guigues Bernard et à ses héritiers de laisser dorénavant, sans qu’il y ait de leur part quelques manifestations d’hostilité ou quelque attitude de contestation, tous les animaux, quelle qu’en soit la gent, de la maison de Léoncel, de celle de la Part-Dieu  et d’autres situées à proximité, pénétrer sur le territoire de Pellafol, s’y installer et y demeurer, comme, sans que ce soit à leurs yeux un motif de préjudice, d’accorder le droit, chaque fois que ce sera nécessaire ou qu’en auront besoin, au moment où les troupeaux gagnent les alpages ou en redescendent, l’abbé, les moines et tous ceux qui sont au service de Dieu dans le monastère précité, à leurs animaux de traverser le territoire en question et de passer par des lieux que Guigues détient en biens propres sur ce mandement, et ce à toute heure du jour et de la nuit. Il est également décrété que les bergers et les gardiens des troupeau précédemment évoqués pourront désormais en toute légalité, sans qu’il leur soit imputé de commettre un délit en ces lieux, avoir accès aux bois situés en contrebas du territoire de Pellafol, y procéder à des coupes et utiliser pour répondre à leurs besoins ce qu’ils auront débité, mais que, s’il s’avère que par leur faute ou par celle de leurs animaux soient parvenus des dégâts, ils seront tenus d’en faire réparation. Il est par ailleurs décidé qu’à l’avenir l’abbé, la maison de Léoncel, celle de la Part-Dieu et les autres situées à proximité ne seront plus astreints à s’acquitter de la remise d’un mouton à Guigues Bernard ou à ses héritiers, ce à quoi, sur injonction des arbitres, le susdit Guigues acquiesça sans réserve en déclarant décharger pour toujours l’abbé de cette obligation et l’en tenir à jamais quitte, tout en promettant au surplus que, s’il devait être un jour de sa part ou de celle de ses héritiers victime de quelque nuisance, tort ou préjudice, il en serait dédommagé, autant qu’il se pourrait. Il est enfin imposé à l’abbé et à la maison de Léoncel, afin d’assurer et de garantir au fil du temps de relations de bon voisinage, de procéder, pour l’octroi précité du droit de passage et de parcours, au versement d’une part à Guigues de la somme, devant être renouvelée chaque année, de trois sols viennois au titre du cens et en plus d’une autre somme, ne devant être remise, en sorte que le donneur en soit définitivement quitte, qu’une seule fois, de soixante sols de la même monnaie, d’autre part à chacun de ses fils, les prénommés Joucerand et Chabert, de la somme, due dans les mêmes conditions que la précédente, de cinq sols de ladite monnaie : lesquels fils, à la demande de leur père, souscrivirent à toutes les clauses ci-dessus mentionnées dans le présent document en les approuvât, en les entérinant et en les homologuant.

leoncel-abbaye-67.4C’est ainsi que les deux parties, promettant de renoncer à tout recours en justice, se mirent d’accord en se ralliant sans réserve à ce compromis et elles demandèrent à Pierre d’Echallon, official de la cour de Valence, qui était absent lors de cette tentative de conciliation, apposât sur le présent écrit le sceau de la dite cour, étant donné que Guigues Bernard détenait en fief le château de Pellafol en l’ayant reçu du vénérable père en Christ Jean, évêque par la grâce de Dieu de Valence et de Die. Qui plus est les amis qui avaient joué le rôle de médiateurs exigèrent d’une part que Guigues frappât de son sceau l’exemplaire destiné à l’abbé et à sa communauté et d’autre part que l’abbé fit figurer sur celui devant revenir à Guigues l’empreinte du sceau de la maison de Léoncel. Enfin pour porter encore plus témoignage de tous les faits susmentionnés, pour les asseoir plus solidement et pour les accréditer davantage les amis précités apposèrent aussi leurs sceaux. Assistèrent au déroulement de cet événement et tant que témoins mandés à cet effet : Pierre de Vassieux, chevalier, Lantelme Burgon, jurisconsulte, Pierre Romans de la paroisse de Saint Martin d’Hostun, Jean Maenca de Rochechinard, Guillelme Rounard de Beauregard et moi, notaire.

Peu de temps après, onze jours avant es calendes du mois d’avril, en cette même année 1295, dans la maison de feu Mathias Gibellin, occupée maintenant par Péronet Flaviol, Chabert, l’un des fils de Guigues Barnard, en présence et à l’instigation de son père dont c’était la volonté et qui le lui demandait expressément, conscient que toutes les décisions, évoquées précédemment, qui avaient été prises, allaient de toute évidence dans l’intérêt de Guigues et de ses fils, les approuva, les confirma et les ratifia, ce qu’il fit sous les yeux des témoins suivants : Falconet de Montélier, simple damoiseau, Odilon Guidon de Cabiol, Jourdain des Hoches, Laurent de Château Bertrand et moi.
De même, huit jours avant les calendes du mois de mai, en cette année 1295 de notre Seigneur, à Valence, devant l’église Saint-Jean située derrière cette de Saint Apollinaire, Joucerand, l’autre fils de Guigues Bernard, de par la volonté de son père qui, par sa présence l’exhortait à donner son aval, se rendant compte de la pertinence et du bien-fondé des résolutions qui avaient été arrêtées, et les estimant salutaires pour Guigues et ses fils, les approuva, les confirma et les ratifia, ce à quoi il procéda devant les témoins suivants mandés à cet effet : Guillaume de Talbières, chapelain et chanoine de Valence, Raymond de Platea résidant à Valence, Laurent de Château Bertrand et moi, Jacques, clerc d’Aiguebelle, habitant à Saint Nazaire en Royans, notaire impérial assermenté de la cour des comtés de Vienne et d’Albon. Et nous, Pierre d’Echaillon, official ci-devant mentionné, nus avons ajouté le sceau de la cour de Valence en l’apposant sur le présent document »
(Traduction de Jacques Michel, ancien professeur de latin-grec au lycée Claude Bernard de Villefranche sur Saône)

leoncel-abbaye-67.5  Cette charte illustre l’importance pour l’abbaye de la route du col de Tourniol vers Barbières et la plaine, notamment vers la Part-Dieu et plus loin vers les pâturages d’hiver des bords de l’Isère ou inversement vers les pâturages d’été et notamment vers les herbages du plateau d’Ambel.
Il s’agit plus précisément de la traversée du mandement de Pellafol sur lequel s’ouvre le col. Les ruines du château féodal de Pellafol sont encore visibles au dessus de Barbières dont le mandement situé un peu plus bas se partage entre plaine et piedmont. A l’évidence les relations n’étaient pas bonnes en cette fin de siècle entre nos cisterciens et Guigues, même si ce dernier était vassal d’un autre ecclésiastique et non des moindres puisqu’il s’agissait de l’évêque de Valence et Die, qui lui avait concédé le château et le domaine de Pellafol en échange de sa fidélité et pour assurer sa subsistance et celle de sa famille.

leoncel-abbaye-67.6« Evêque de Valence et Die »…depuis 20 ans, en effet les deux sièges étaient confiés, à un seul et même prélat ce qui devait permettre une meilleure conduite des affaires dans le cadre de la longue guerre des Episcopaux dont il a été question dans notre texte n° 59 et qui opposait les évêques de Valence et ceux de Die au comte de Valentinois.

On note à nouveau le goût des abbés de Léoncel pour le recours l’arbitrage qui permet d’éviter les difficultés des procès confiés à la Justice. L’arbitre exige un engagement préalable par serment des deux parties à accepter les termes de sa sentence sous peine du versement d’une somme non négligeable. On voit bien ici les efforts consentis par les uns et les autres pour parvenir à un accord qui ouvre de nouvelles relations. Une fois encore le problème des dégâts commis aux diverses récoltes et en forêt par les troupeaux dans leurs déplacements vers les alpages ou vers la plaine est soulevé. On remarque que, cependant, le recours au droit de pulvérage, n’est pas évoqué.

Le 1er JUILLET 2014 Michel Wullschleger